jeudi 25 février 2016

La prise de décision par Loomio

La prise de décision est difficile au début de la création d’un collectif. Même si nous semblons d’accord pour prendre nos décisions par consentement ou, mieux encore, par consensus, ce type de processus requiert des habiletés qui vont se développer avec le temps mais qui sont loin d’être familières pour la plupart des membres du collectif. D’autre part, nous avons beaucoup à faire et il devient vite frustrant de voir le groupe s’enliser à chaque rencontre dans des discussions qui n’en finissent plus et conduisent rarement vers des décisions convenant à tous. Dans notre groupe, nous avons récemment fait l’essai de l’outil Loomio pour la prise de décision. C’est un outil que j’ai beaucoup apprécié et dont j’entrevois l’énorme potentiel une fois les difficultés d’intégration dépassées. Il s’agit d’ouvrir au départ un fil de conversation sur un sujet et dans un contexte précis. N’importe quel membre du collectif peut ouvrir un fil de conversation. J’ai ainsi proposé une conversation concernant la rédaction d’un document pour lequel nous avions une échéance de production. Un groupe de travail (3 personnes) s’est réuni et a consulté les autres membres du collectif (6 autres personnes) par ce fil de conversation en y déposant une première puis une deuxième ébauche du document à produire. Nous avons respecté notre échéance tout en favorisant l’implication de tous.  

Loomio fonctionne en fait exactement sur le modèle de la prise de décision par consentement qui est à la base de la sociocratie et de plusieurs autres approches de démocratie participative. Il s’agit de circonscrire un thème à propos duquel nous souhaitons parvenir à nous entendre. Il y aura d’abord une conversation générative où tous seront libres d’apporter leur contribution. Puis quelqu’un fera une proposition ou chacun viendra (ou non) donner son avis. La conversation et les propositions se poursuivent jusqu’à ce que l’on parvienne à une version acceptée qui devient une décision concertée.
La clé de ce processus est l’engagement de tous et la qualité d’écoute que s’offrent les membres du collectif entre eux. L’écoute mène à la compréhension et favorise, en bout de ligne, la qualité des décisions.

Dans notre petit groupe, nous apprenons à reconnaitre le moment où un thème est assez mûr pour que l'on puisse formuler une proposition. 

lundi 22 février 2016

Réflexion sur les outils collaboratifs en ligne

Aujourd’hui, toute organisation (et plus particulièrement les OBNL et les communautés de pratiques qu’elles sous-tendent) possède une composante en ligne. La plus simple expression de cette composante est l’échange de courriels avec documents attachés lorsque nécessaire.

Qu’elles soient faites en présentiel ou en différé par des moyens technologiques, nous cherchons, par nos communications, à développer notre intelligence collective[1]. Les modèles et les concepts en lien avec l’intelligence collective prolifèrent aujourd’hui. Lorsque vient le moment de choisir des outils en ligne, chacun y vient avec son histoire personnelle, sa vision des choses et son attachement aux outils qu’il connaît et maitrise déjà. Il est toutefois important de se rappeler que la technologie n'est qu'un support de l'intelligence collective et non un moyen de l'obtenir. Dans un environnement effectif et bien intégré, chaque individu trouve un bénéfice à collaborer (parfois instinctivement). Lorsque la collaboration devient fluide, la performance de chacun et celle du groupe dans son ensemble se trouvent renforcées et nous avons plaisir à créer ensemble.

Je fais partie d’une petite communauté naissante, qui comprend 9 membres actifs en ce moment. Nous avons entrepris récemment d’explorer quelques outils pouvant nous permettre de collaborer en ligne en dehors des rencontres. Une première réflexion nous a permis de voir quels étaient nos besoins. Les voici en bref :
  • PRENDRE DES DÉCISIONS par consensus ou par consentement en évitant de surcharger nos rencontres en présentiel.
  • Collaborer à la création/rédaction de documents jusqu’à l’obtention d’une version FINALISÉE sur laquelle nous nous entendons.
  • Partager entre nous les documents finalisés de telle sorte que tous puissent prendre connaissance de notre création commune.
  • Conserver les documents selon une méthodologie et dans un environnement sur lequel nous nous sommes entendus de telle sorte que nous puissions les retrouver facilement.
  • ÉTABLIR UN CALENDRIER de rencontres à l’avance pour la période intensive de création des bases de la communauté.
  • GÉRER éventuellement notre communauté virtuelle en ligne en ayant une visibilité et des moyens d’interaction sur le Web.

Dans l’exploration actuelle, certains parlent d’OUTILS COLLABORATIFS et d’autres de PLATEFORME COLLABORATIVE. Une plateforme collaborative (tel Acollab) intègre en fait plusieurs outils collaboratifs (ex : un wiki, un forum, etc.). Dans la liste des besoins énumérés précédemment, les 5 premiers points sont du domaine de l’INTRANET tandis que le point 6 concerne INTERNET c’est-à-dire notre visibilité sur le Web. Ma réflexion se poursuivra ainsi en plusieurs articles dont les premiers traiteront de la prise de décision et de la rédaction de documents.
Je terminerai ici avec une parole très sage de Jean-Michel Cornu : «J’ai perdu tant de communautés qui ont été remplacées par des jolis outils que je suis devenu méfiant du financement des communautés par ceux qui ne comprennent par leur dynamique ».   




[1] Selon Pierre Levy, l’intelligence collective a comme caractéristiques: (1) décentralisation du savoir et des pouvoirs, (2) autonomie des individus valorisés en tant que créateurs de sens, (3) expansion d'un espace intersubjectif dégagé des contraintes économiques et étatiques, (4) interactivité constante entre les individus et leur environnement, (5) désagrégation des structures massives au profit d'entités autonomes, petites et conviviales, (6) émergence d'une nouvelle convivialité et d'une nouvelle éthique. Le Web, favorisant ce genre d’échanges par des initiatives telle celle du forum en ligne, est un théâtre idéal pour le développement des communautés. (LEVY, Pierre (1997) L’intelligence collective : pour une anthropologie du cyberespace, La Découverte/Poche)

samedi 21 février 2015

Les 7 mouvements du U

J’ai eu l’occasion de compléter entre le 7 janvier et le 20 février 2015 une formation en ligne offerte par le Presencing Institute en lien avec Edx. L’expérience a été exigente car, en plus du volet en ligne, on nous demandait de former des groupes au niveau local et on nous suggérait de participer à des cercles de coaching.
Après avoir fait cette immersion totale dans ce qu’Otto Scharmer nomme le champ du U, j’en reviens avec des questionnements, des étonnements et aussi avec l’espoir d’un monde en transformation ayant maintenant accès à des outils pour amorcer le changement.
Je veux d’abord souligner la qualité de présence d’Otto Scharmer, sa simplicité et sa capacité à guider les auditeurs vers leur espace intérieur… Ce que j’ai ressenti d’Otto est la pureté de son intention. C’est d’ailleurs avec cette pureté d’intention qu’il nous invite à entrer dans le U car, dit-il, l'intention est notre outil. 


LE U EST UN PROCESSUS NON LINÉAIRE MAIS ON Y RECONNAIT 7 MOUVEMENTS

(1) SUSPENDRE
(2) REDIRIGER
(3) LÂCHER PRISE
(4) ACCÉDER À LA SOURCE
(5) CRISTALLISER
(6) PROTOTYPER
(7) PERFORMER






Le U est un espace de transformation qui peut et doit se faire à trois niveaux : personnel, relationnel et social. Pour vivre cette transformation, il faut accepter de descendre profondément en soi. Le processus de Scharmer rejoint tout à fait ici ce que nous proposons avec le Focusing et avec la PSE (Pensée au seuil d’émergence). Pour avoir expérimenté la pratique de la PSE et celle du U, je peux affirmer qu'elles sont complémentaires.
Mon seul bémol par rapport à la pratique du U est que ça ne me semble pas pouvoir se faire partout et par n'importe qui. Lorsque pratiquée en groupe, par exemple, les gens n'ont pas tous une capacité égale d'accès au travail intérieur. Dans notre groupe local et dans les cercles de coaching auxquels j'ai participé cette difficulté était bien perceptible. Le cours en ligne était ouvert à tous sans prérequis et il était offert gratuitement. J'aimerais recréer une expérience au niveau local avec un groupe un peu plus homogène et je pense à offrir aux gens qui pratiquent déjà le Focusing et les Rencontres au Seuil d'Émergence (RSE) que nous offrons à Diffusion Focusing Québec de former un groupe local pour expérimenter la descente du U. 

jeudi 4 décembre 2014

Les conditions gagnantes du pair à pair (P2P)

Comme nous l’avons vu dans un article précédent, la pratique du pair à pair, qui vise à créer de la valeur en commun, requiert deux conditions pour pouvoir vivre soit: L’ABONDANCE et LA DISTRIBUTION. Michel Bauwens nous propose de faire une méditation sur la rareté et l'abondance. Nous vivons dans une société basée sur une pseudo-abondance combinée avec une pseudo-rareté. Parce que nous considérons que la nature est abondante et infinie, nous la détruisons. Et, d’un autre côté, tout en détruisant la biosphère, nous créons des droits d'auteur abusifs sur le flux culturel qui est en fait abondant par nature. Selon Bauwens, c'est ce qu'il faut changer car nous avons besoin d'une société qui, d’une part,  reconnaît la rareté du monde physique et, d’autre part, stimule les flux immatériels et change la psychologie des gens afin qu’ils puissent se valoriser non plus par la matière qui s’échange dans le monde matériel mais par l'expression de soi et la reconnaissance de leur production immatérielle par leurs pairs.

Les conditions gagnantes d’une pratique P2P
Afin que la pratique de cette création de valeur en commun puisse prospérer, nous avons besoin d’en reconnaître les conditions gagnantes soit :

1. UNE DISPONIBILITÉ DE LA MATIÈRE IMMATÉRIELLE: du libre, de l’ouvert et du gratuit. Disons que cette condition existe de plus en plus sur le Web.
2. DE LA PARTICIPATION car on est dans le domaine de la gouvernance entre pairs. Se posent alors des questions telles la distribution des tâches, l’abaissement du seuil d'accès, la convergence des intérêts individuels et collectifs. Selon Bauwens, on peut avoir un intérêt égoïste à faire du commun car on y gagne de la connaissance, des relations, de la réputation, toutes choses que l’on peut par la suite employer sur le marché. Au niveau individuel, lorsque l’on fait de la production volontaire non payée ça entraine momentanément de la précarité. Mais cette précarité peut aussi être choisie par des artistes et des créateurs qui y travailleront soit par intermittence, soit de façon prolongée par une sorte de vocation. Certains modèles commencent aussi à s’organiser dans ce sens, j’en nommerai deux : le modèle de diffusion des Cercles Restaurateurs, créé par Dominic Barter, et le modèle de l’économie du don, mis en pratique par Jean-François Noubel.  
3- UN SYSTÈME DE PROTECTION des biens créés contre l'appropriation privée. Ce point est plus particulièrement développé par David Bollier qui, dans son livre «La renaissance des communs» traite du phénomène de l’enclosure qu’il nous faut apprendre à reconnaitre pour pouvoir l’éviter.


Références
Vers une civilisation de pairs : Conférence de Michel Bauwens à Limoges (Cercle Gramsci). Transcrit par Christophe Soulié, ce texte est une introduction aux idées de la P2P Foundation.

David Bollier La renaissance des communs, Éditions Charles Léopold Mayer, 2014 


mardi 25 novembre 2014

La pratique émergente du pair à pair (P2P)

La pratique en émergence du pair à pair vise à créer de la valeur en commun. Selon Michel Bauwens[1]qui est un des leaders de ce mouvement, cette pratique se fait par le biais de réseaux distribués, un modèle différent de celui des réseaux de type centralisé hiérarchiques ou décentralisés de type démocratiques. Entre le réseau décentralisé, issu de l’évolution de la démocratie, et le réseau distribué, actuellement émergent, il existe une distinction importante. Pour expliquer cette distinction, Bauwens utilise l’exemple du réseau aérien. Si vous voulez aller, par exemple, de la Nouvelle Orléans à Minneapolis, vous devez passer par le centre aérien d'Atlanta. En tant que voyageur, vous n’êtes pas libre. Par contre avec la voiture, vous pouvez aller de mille et une façons de la Nouvelle Orléans à Minneapolis. En tant que voyageur, vous êtes libres de choisir votre route. Ainsi, dans le RÉSEAU DISTRIBUÉ, les personnes sont libres d'établir des relations entre elles sans coercition visible même si on y retrouve d'autres formes de pouvoir. Il n'y a PAS DE CENTRE, PAS DE PATRON, PAS DE STRUCTURE EMPÊCHANT DE CRÉER LIBREMENT DES LIENS ET D'ENTREPRENDRE DES ACTIONS. Dans ce type de réseau, on parle de pratiques humaines émergentes débutant par l’initiative d’un groupe de personnes qui veulent faire ensemble une chose qui leur parait nécessaire et qui se donnent la possibilité de décider entre elles de la manière de le faire[2]

La production entre pairs, tout comme la gouvernance entre pairs et le système de protection des biens ainsi produits[3], deviennent des pratiques de plus en plus importantes. On parle de processus sociaux émergents ayant comme caractéristiques : (1) Un mode de production qui n’est ni étatique, ni capitaliste, (2) Un mode de gouvernance qui n’est ni étatique, ni privé, et (3) Un mode de propriété qui n’est ni public, ni privé. Dans ce mode de production, plutôt que de produire de la valeur d’échange, on produit directement de la valeur d’usage. Il n'y a pas de marché car, par cette pratique, nous créons de l'abondance. Les coûts de reproduction sont pratiquement nuls. Il n'y a pas de bureaucratie, pas de propriété privée. De plus, dans la production entre pairs, on ne juge pas la personne par son diplôme, les gens s'auto sélectionnent, la validation de la qualité se fait par les pairs sans qu’il y ait une instance séparée de contrôle. Dans le système social actuel, la connaissance est encore plus ou moins privée par le fait que certaines personnes en ont le monopole par le biais d’un diplôme leur attribuant un droit de pratique professionnelle plus ou moins étendu, ce droit étant validé par des institutions. Avec la production entre pairs, il n’y a plus ce type d’accréditation ce qui constitue un important changement. Un autre changement étant au niveau de la transparence par un accès libre à l’information.
Cette démocratisation de la connaissance, qui se transmet par les pairs, requiert deux conditions pour pouvoir vivre soit: L’ABONDANCE et LA DISTRIBUTION. Le monde immatériel est par essence abondant. Il n’y a pas de coûts de reproduction. Il y a abondance d'intellect. Le principal outil de production est l'ordinateur, un moyen de plus en plus accessible à tous. On produit donc à partir de chez soi et on distribue de la même manière. Le lien subjectif qui se crée entre les personnes provient de la réciprocité (aussi appelée économie du don) par la création d’un commun où chacun contribue par ses capacités et selon sa volonté et où chacun peut utiliser la production selon ses besoins.



[1] Les exemples les plus couramment cités sont Wikipédia et le logiciel libre.
[2] Michel Bauwens est belge et vit actuellement en Thaïlande. Une de ses activités consiste à organiser des séminaires pour le monde des affaires. Il a fondé la P2P Fondation.
[3] On parle ici des licences GPL (General Public Licence) permettant d’employer du savoir commun à condition de produire aussi du savoir commun avec ce que l’on a reçu gratuitement. 



Références
École des communs : Évènement organisé en novembre 2012 par Communautique (Monique Chartrand) et Remix biens communs (Alain Ambrosi), en collaboration avec l'UQÀM. « Le P2P, la culture libre et le mouvement mondial des communs » (conférence de M. Bauwens) et « de pair à pair » (conversation avec M. Bauwens).Vers une civilisation de pairs :Conférence de Michel Bauwens à Limoges (Cercle Gramsci)Transcrit par Christophe Soulié, ce texte est une introduction aux idées de la P2P Foundation.
Voir aussi
(3) Le pair à pair (P2P) : Point de vue politique et économique
(4) La dynamique relationnelle du pair à pair (P2P)


vendredi 14 mars 2014

La capacité d'évoluer

Je présente ici la traduction d’un texte publié sur la page Facebook de E.T. Gendlin[1]. Il s’agit d’une brève entrée dans la philosophie de l’implicite. Ça peut sembler ardu de prime abord mais, une fois compris, ça donne une très grande ouverture sur la pensée de ce grand philosophe qui nous offre si spontanément, sur Facebook, sa compréhension du monde. J’ai ajouté au texte, une illustration qui représente tout simplement le zigzag dont parle Gendlin et qui se fait toujours entre les concepts et le sens corporel. C’est à partir de ce mouvement, qui est celui de la vie, que nous pouvons faire évoluer les concepts.


La capacité d’évoluer

La capacité que possède un être humain d’évoluer et de se transformer est précieuse. Lorsque nous travaillons en privé avec quelqu’un, c’est ce que nous faisons. Et c’est aussi ce que nous faisons dans l’espace scientifique.

La science est en constante évolution. Là où il y avait trois termes au départ, nous en trouvons une trentaine quelques années plus tard avec, en plus, de nouvelles sous-spécialités qui s’y sont développées.

Ça ne devient pas autre chose, ça se développe.  Ça contient certainement quelque chose d’autre car la constellation de la science d’une certaine époque est totalement différente de ce qu’elle était quelques années auparavant. Dans les concepts il y a des unités; ces unités sont des objets; ils se développent. 

La structure conceptuelle de ces objets/unités, lorsqu’elle se développe, amène une nouvelle constellation extrêmement précieuse. 

La précision d’une structure conceptuelle répétitive est aussi extrêmement précieuse. Sans cette précision, nous n’aurions pas pu aller sur Mars ou réaliser plusieurs choses qui se font maintenant couramment. Nous avons constamment besoin de cette précision des structures.

Mais, lorsque nous tentons d’élargir ou de modifier nos concepts personnels ou scientifiques, le processus est différent de celui qui consiste à les reproduire avec précision. Nous avons besoin de ces deux types de processus et nous avons besoin d’y entrer et d’en sortir tout en tenant compte de la distinction qui se fait entre les deux. C’est ce que nous faisons constamment. Mais nous croyons qu’il faut être surpris chaque fois qu’un changement de sens se produit, un peu comme si nous nous étions trompé. En fait, nous n’étions pas dans l’erreur, car, en utilisant les mêmes outils pour faire la même chose, nous obtenions les mêmes résultats. Ce n’était pas mauvais car c’est à ce stade d’élaboration des concepts que ce résultat avait été obtenu. Mais maintenant que nous avons cette structure et ces concepts, c’est différent.

Vous vous interrogez à savoir pourquoi l’expansion d’une structure conceptuelle est possible? Cette activité d’expansion dépend de l’implicite. C’est l’implicite qui lui permet de se produire. Elle est possible parce que l’implicite existe et que l’implicite est un processus primaire de la vie qui est composé d’une part du corps=environnement et que, d’autre part, la vie est une sorte de processus rythmique. Sans cette double nature du processus de vie, nous n’aurions pas d’implicite. Mais le processus de vie n’est pas un implicite. Parce que l’implicite est en fait une compréhension implicite qui constitue une toute nouvelle strate du développement à venir des animaux. Les animaux comprennent. Ils comprennent leur situation.

Dans le modèle processuel, il faut aller jusqu’au chapitre 4 pour commencer à aborder la question du comportement. Alors ce qu’il faut absolument savoir ici c’est qu’il ne faut pas favoriser seulement le développement du vivant ou seulement la structure conceptuelle, nous avons besoin des deux et ce sont deux choses distinctes. La structure conceptuelle dépend à la fois de la vie et du comportement. Vous ne pouvez pas avoir de compréhension implicite sans vie et sans comportement : ce sont les deux aspects qui doivent se produire en premier. Mais le discours actuel est à l’effet que «pour les êtres humains la réalité est maintenant conceptuelle». C’est faux, la réalité ne peut pas être seulement quelque chose d’externe. Elle continue d’être la vie et le comportement avant d’être conceptuelle. Ainsi, la réalité n’est conceptuelle pour les êtres humains que sur la base de cette expansion de la vie et de l’action. Ce point est important : le processus de compréhension implicite est toujours beaucoup plus vaste que la structure conceptuelle. Aussi fine, précise et exacte soit-elle, la structure conceptuelle d’aujourd’hui est en devenir de quelque chose de plus et la compréhension implicite en est aussi toujours plus grande, même chez les animaux.  La compréhension implicite apporte une énorme quantité de compréhension à un moment particulier, dans le tout et l’un dans l’autre.

La compréhension implicite est quelque chose d’autre que la structure conceptuelle. Elle ne s’y oppose pas car la structure conceptuelle n’est rendue possible que par la compréhension implicite qui arrive beaucoup plus tôt et de manière beaucoup plus primitive. Il existe entre les deux une relation tout à fait particulière où l’on peut reconnaître que chacune est, d’une étrange manière, plus précise que l’autre. Dans la compréhension implicite, il y a une énorme quantité d’unités implicites non séparées. Ainsi, cette sorte de compréhension ne consiste pas en une constellation d’unités séparées. Et c’est aussi vrai pour la science : les précisions dont la science dispose sont énormes mais elles sont encore beaucoup moindres que ce que comporte le processus primitif de vie. Un évènement important c’est produit dans l’histoire de la pensée lorsque Newton et Kant ont introduits l’espace vide externe dans la réalité. Kant affirmait que si nous pouvions éliminer tous les objets, nous continuerions d’avoir de l’espace et du temps. Ainsi, lui et Newton ont fait de l’espace et du temps un absolu. Cet absolu de l’espace et du temps signifie que la réalité se passe dans un espace vide. Et ça a encore changé… il y a encore une importante transformation entre celle de cet espace vide et la nouvelle évolution… celle du développement de l’implicite…  

Mais il faut aussi mettre l’emphase sur le fait que la structure exacte dont nous disposons est tout aussi importante et qu’elle se doit d’être maintenue. La structure exacte n’est pas «quelque chose qui, d’une certaine manière, peut être mitigée par l’implicite». Dans ce monde, nous avons besoin des deux. Nous, les humains, avons besoin des deux… Trois philosophes, Whitehead, Dewey et Wittgenstein, sont toujours là, toujours actuels. Ils ont apportés une contribution que plusieurs n’ont pas encore comprise. Ils sont à l’arrière-plan de ce que j’affirme. Je veux simplement dire que l’implicite et la relation explicite est ce que nous substituons ici à l’interne/externe. La distinction entre l’interne et l’externe n’est pas fondamentale. Une des difficultés du modèle processuel est qu’au départ il n’y a pas de distinction externe/interne. Par la suite, dans le développement de la structure, il y a certainement une distinction qui se fait entre l’interne et l’externe, mais cette distinction ne vient pas en premier car vous y perdriez tout le background de l’affaire… (À suivre)              


lundi 9 avril 2012

La médiation citoyenne

L’approche de la médiation citoyenne est relativement récente au Québec. Ce sont, jusqu’à présent les organismes de justice alternative qui en ont fait la promotion.[1] Selon cette approche, des médiateurs et intervenants professionnels forment et encadrent des médiateurs bénévoles qui offriront ensuite le service dans leurs communautés respectives.

Par la médiation citoyenne, les personnes d’un milieu donné (quartier, organisme ou regroupement quelconque) vont parvenir collectivement à développer des compétences dans le domaine de la gestion de conflits. Cet apport important d’attention inter humaine vise à soutenir des environnements sécuritaires offrant une meilleure qualité de vie. La médiation, toujours effectuée par un tiers indépendant du conflit, est ancrée dans le respect des différences et la reconnaissance des besoins de chacun. Elle prévient l’incivilité et la violence en favorisant l’écoute et la coopération dans la recherche de solutions.

Parce que les conflits sont inhérents à toute interaction sociale, il est important de les reconnaître pour ce qu’ils sont et d’apprendre à composer avec diverses problématiques sans avoir besoin de recourir à une intervention professionnelle ou à des actions judiciaires. Le champ d’action de la médiation citoyenne est très vaste car il s’adresse à tous et le seul critère pour y accéder est l’engagement libre des deux parties en cause en présence d’un tiers. Il est ainsi possible de traiter tout conflit de proximité ou de relation (par exemple : conflits de voisinages, relations au travail ou au sein d’une organisation, enjeux au sein de la famille ou dans les milieux de l’éducation). On parle toujours de ces milliers de petits litiges qui affectent la vie de tous les jours. La médiation citoyenne englobe aussi la médiation en milieu scolaire et devrait faire partie de toute éducation à la citoyenneté. Elle constitue un nouveau mode de régulation sociale visant à recréer du lien en s’appuyant sur la participation de tous.

Dans ce processus, les deux parties en cause vont ainsi engager un dialogue là où il y avait bris de communication. Selon Jean Pierre Bonafé-Schmitt, acteur bien connu en France dans le domaine de la médiation[2], ce qui a valeur ajoutée dans ce projet social est la construction d’une nouvelle forme de citoyenneté, d’une nouvelle responsabilité, d’un nouveau pouvoir des citoyens sur leur vie et, surtout, de nouvelles solidarités. La pratique de la médiation est ainsi un moment de socialisation et d’autonomisation où toutes les personnes impliquées vont potentiellement acquérir de nouvelles habiletés.

La médiation : un nouveau rituel
Erving Goffman, sociologue canadien, a développé la notion de rituel pouvant s’appliquer au processus de médiation. Ce que Goffman nomme l’échange réparateur est la forme, prédéterminée socialement, qui sera susceptible de désamorcer la tension entre les personnes et de recréer le lien. La procédure présente donc un certain cérémonial. Un code moral sera instauré et les parties s’avanceront alors avec l’intention de s’approprier le processus de dialogue qui les mènera vers la résolution du conflit.

La rencontre préliminaire est ainsi la première phase du rituel. Elle est aussi la plus importante car c’est au cours de celle-ci que pourra s’amorcer le rapport de confiance par un engagement préalable envers le processus de dialogue et les valeurs qu’il soutient.

La deuxième étape du rituel sera celle de la rencontre sur le mode du dialogue. Le médiateur favorise alors l’appropriation du processus par les parties concernées à travers les notions de responsabilité mutuelles et d’intercompréhension. Le déroulement de la rencontre est fait d’interactions et d’échanges de paroles où le médiateur s’engage à préserver la logique de la communication.

La dernière étape sera celle de l’accord de médiation (s’il n’y a pas accord sur la problématique, il est alors possible de s’entendre sur le fait que, pour le moment, les parties n’arrivent pas à s’entendre et de voir alors quel serait le prochain pas pour l’une comme pour l’autre.)

Enfin, toujours selon le principe du rituel, le travail d’une association faisant la promotion de la médiation citoyenne consistera à recruter de nouvelles personnes et à les intégrer au réseau social afin que le rituel de la médiation se propage dans l’ensemble des communautés touchées. C’est ce que Bonafé-Schmitt nomme l’ingénierie de la médiation et il a développé dans ce sens un modèle qui s’enseigne dans le cadre d’un programme universitaire.

Le conflit est une forme de socialisation
Selon une thèse proposée par le sociologue allemand Georg Simmel[3], le conflit serait une forme de socialisation car il permet de reconnaître l’autre dans sa différence. Autrefois et encore aujourd’hui dans plusieurs contextes, les relations étaient surtout marquées par des rapports d’autorité et le mode de gestion des conflits était hiérarchisé selon un mode d’inférieur à supérieur. Plutôt que d’écouter et d’être écouté, il fallait obéir et se plier aux exigences du milieu dans un rapport de type autoritaire.

Aujourd’hui, par le biais de l’élaboration de nouveaux rituels, il s’agit de proposer de nouvelles règles. C’est ce que la médiation tente de faire. La nouvelle règle consiste ainsi à ce que les deux parties en viennent à définir ensemble les modalités de leur vie commune. Pour se faire, il doit y avoir reconnaissance de l’autre et compréhension mutuelle. La médiation devient ainsi un processus éducatif de régulation basé sur le consensus, le contrat, la confiance et l’équité. La médiation peut ainsi produire de nouvelles normes et de nouvelles règles d’ordre relationnel ou fonctionnel. Le caractère subjectif et complexe du conflit nécessite que la médiation s’adapte aux conflits des individus et non pas l’inverse car une loi générale et impersonnelle ou une politique quelconque ne pourra jamais s’appliquer à toutes les situations. C’est pourquoi l’on considère l’attention portée au conflit comme étant un apprentissage de la vie en commun.

En mettant en évidence la fonction socialisante du conflit, par l’interaction qu’il crée entre les parties, Georg Simmel montre que l’objectif poursuivi par les protagonistes est toujours, en définitive, un retour à l’unité. Le traitement du conflit passe généralement par une réévaluation du fonctionnement social. Il est une forme de synthèse entre deux opposés et indique un choix différent de celui de la concurrence, de la rivalité ou du maintien de la polarisation. Le conflit contient toujours ainsi l’antagonisme et la force du lien. On peut dire qu’il est une nécessité et qu’il serait illusoire de vouloir s’en débarrasser. 

Conclusion
La médiation telle que proposée dans ce nouveau modèle en élaboration n’est pas une «technique» de gestion des conflits. Il s’agit plutôt, tel que le souligne Bonafé-Schmitt, de faire société, de créer du lien social en constituant de nouveaux espaces de régulation des relations sociales. Il s’agit en fait de créé des temps et des lieux à même le tissu social afin que nos liens puissent s’harmoniser par la reprise d’un dialogue authentique.

Références
Bonafé-Schmitt, J.P., Entretien fait par Guy Boubault pour la revue Non-Violence Actualité
Goffman, E., La mise en scène de la vie quotidienne, Ed. De Minuit, 1973
Simmel, G., Le Conflit, Circé, 1995




[1] L’organisme Trajet offre actuellement (2011, 2012) une formation en médiation citoyenne d’une durée de 21H00. Suite à cette formation, les médiateurs sont invités à se joindre à un groupe ou à une organisation où ils offriront un service de médiation pour un minimum d’un an. Pour joindre l’organisme : http://www.rojaq.qc.ca/blog/category/montreal . Dans l’ensemble du Québec, il y aurait actuellement plus de 200 personnes impliquées dans 34 unités opérationnelles, dont 3 unités à Montréal.
[2] L’organisme Amely ou l’on peut joindre Jean Pierre Bonafé-Schmitt, est actif dans la région de Lyon depuis 1987. Il offre les services de 50 médiateurs bénévoles dans les différents quartiers de la ville de Lyon, ainsi que des services de médiation en milieu scolaire. www.amely.org
[3] Cette thèse est développée dans son ouvrage intitulé : Le Conflit