Je présente ici la traduction d’un texte publié sur la page Facebook de E.T. Gendlin.
Il s’agit d’une brève entrée dans la philosophie de l’implicite. Ça peut
sembler ardu de prime abord mais, une fois compris, ça donne une très grande
ouverture sur la pensée de ce grand philosophe qui nous offre si spontanément,
sur Facebook, sa compréhension du monde. J’ai ajouté au texte, une illustration
qui représente tout simplement le zigzag dont parle Gendlin et qui se fait
toujours entre les concepts et le sens corporel. C’est à partir de ce
mouvement, qui est celui de la vie, que nous pouvons faire évoluer les
concepts.
La capacité
d’évoluer
La capacité que possède un être humain d’évoluer et de se
transformer est précieuse. Lorsque nous travaillons en privé avec quelqu’un,
c’est ce que nous faisons. Et c’est aussi ce que nous faisons dans l’espace
scientifique.
La science est en constante évolution. Là où il y avait
trois termes au départ, nous en trouvons une trentaine quelques années plus
tard avec, en plus, de nouvelles sous-spécialités qui s’y sont développées.
Ça ne devient pas autre chose, ça se développe. Ça contient certainement quelque chose
d’autre car la constellation de la science d’une certaine époque est totalement
différente de ce qu’elle était quelques années auparavant. Dans les concepts il
y a des unités; ces unités sont des objets; ils se développent.
La structure
conceptuelle de ces objets/unités, lorsqu’elle se développe, amène une nouvelle
constellation extrêmement précieuse.
La précision d’une structure conceptuelle répétitive est
aussi extrêmement précieuse. Sans cette précision, nous n’aurions pas pu aller
sur Mars ou réaliser plusieurs choses qui se font maintenant couramment. Nous
avons constamment besoin de cette précision des structures.
Mais, lorsque nous tentons d’élargir ou de modifier nos
concepts personnels ou scientifiques, le processus est différent de celui qui
consiste à les reproduire avec précision. Nous avons besoin de ces deux types
de processus et nous avons besoin d’y entrer et d’en sortir tout en tenant
compte de la distinction qui se fait entre les deux. C’est ce que nous faisons
constamment. Mais nous croyons qu’il faut être surpris chaque fois qu’un
changement de sens se produit, un peu comme si nous nous étions trompé. En
fait, nous n’étions pas dans l’erreur, car, en utilisant les mêmes outils pour
faire la même chose, nous obtenions les mêmes résultats. Ce n’était pas mauvais
car c’est à ce stade d’élaboration des concepts que ce résultat avait été
obtenu. Mais maintenant que nous avons cette structure et ces concepts, c’est
différent.
Vous vous interrogez à savoir pourquoi l’expansion d’une
structure conceptuelle est possible? Cette activité d’expansion dépend de
l’implicite. C’est l’implicite qui lui permet de se produire. Elle est possible
parce que l’implicite existe et que l’implicite est un processus primaire de la
vie qui est composé d’une part du corps=environnement et que, d’autre part, la
vie est une sorte de processus rythmique. Sans cette double nature du processus
de vie, nous n’aurions pas d’implicite. Mais le processus de vie n’est pas un
implicite. Parce que l’implicite est en fait une compréhension implicite qui
constitue une toute nouvelle strate du développement à venir des animaux. Les
animaux comprennent. Ils comprennent leur situation.
Dans le modèle processuel, il faut aller jusqu’au chapitre 4
pour commencer à aborder la question du comportement. Alors ce qu’il faut
absolument savoir ici c’est qu’il ne faut pas favoriser seulement le
développement du vivant ou seulement la structure conceptuelle, nous avons
besoin des deux et ce sont deux choses distinctes. La structure conceptuelle
dépend à la fois de la vie et du comportement. Vous ne pouvez pas avoir de
compréhension implicite sans vie et sans comportement : ce sont les deux
aspects qui doivent se produire en premier. Mais le discours actuel est à
l’effet que «pour les êtres humains la réalité est maintenant conceptuelle».
C’est faux, la réalité ne peut pas être seulement quelque chose d’externe. Elle
continue d’être la vie et le comportement avant d’être conceptuelle. Ainsi, la
réalité n’est conceptuelle pour les êtres humains que sur la base de cette
expansion de la vie et de l’action. Ce point est important : le processus
de compréhension implicite est toujours beaucoup plus vaste que la structure
conceptuelle. Aussi fine, précise et exacte soit-elle, la structure
conceptuelle d’aujourd’hui est en devenir de quelque chose de plus et la
compréhension implicite en est aussi toujours plus grande, même chez les
animaux. La compréhension implicite
apporte une énorme quantité de compréhension à un moment particulier, dans le
tout et l’un dans l’autre.
La compréhension implicite est quelque chose d’autre que la
structure conceptuelle. Elle ne s’y oppose pas car la structure conceptuelle
n’est rendue possible que par la compréhension implicite qui arrive beaucoup
plus tôt et de manière beaucoup plus primitive. Il existe entre les deux une
relation tout à fait particulière où l’on peut reconnaître que chacune est,
d’une étrange manière, plus précise que l’autre. Dans la compréhension
implicite, il y a une énorme quantité d’unités implicites non séparées. Ainsi,
cette sorte de compréhension ne consiste pas en une constellation d’unités
séparées. Et c’est aussi vrai pour la science : les précisions dont la
science dispose sont énormes mais elles sont encore beaucoup moindres que ce
que comporte le processus primitif de vie. Un évènement important c’est produit
dans l’histoire de la pensée lorsque Newton et Kant ont introduits l’espace
vide externe dans la réalité. Kant affirmait que si nous pouvions éliminer tous
les objets, nous continuerions d’avoir de l’espace et du temps. Ainsi, lui et
Newton ont fait de l’espace et du temps un absolu. Cet absolu de l’espace et du
temps signifie que la réalité se passe dans un espace vide. Et ça a encore
changé… il y a encore une importante transformation entre celle de cet espace
vide et la nouvelle évolution… celle du développement de l’implicite…
Mais il faut aussi mettre l’emphase sur le fait que la
structure exacte dont nous disposons est tout aussi importante et qu’elle se
doit d’être maintenue. La structure exacte n’est pas «quelque chose qui, d’une
certaine manière, peut être mitigée par l’implicite». Dans ce monde, nous avons
besoin des deux. Nous, les humains, avons besoin des deux… Trois philosophes, Whitehead,
Dewey et Wittgenstein, sont toujours là, toujours actuels. Ils ont apportés une
contribution que plusieurs n’ont pas encore comprise. Ils sont à l’arrière-plan
de ce que j’affirme. Je veux simplement dire que l’implicite et la relation
explicite est ce que nous substituons ici à l’interne/externe. La distinction
entre l’interne et l’externe n’est pas fondamentale. Une des difficultés du
modèle processuel est qu’au départ il n’y a pas de distinction externe/interne.
Par la suite, dans le développement de la structure, il y a certainement une
distinction qui se fait entre l’interne et l’externe, mais cette distinction ne
vient pas en premier car vous y perdriez tout le background de l’affaire… (À
suivre)