vendredi 14 mars 2014

La capacité d'évoluer

Je présente ici la traduction d’un texte publié sur la page Facebook de E.T. Gendlin[1]. Il s’agit d’une brève entrée dans la philosophie de l’implicite. Ça peut sembler ardu de prime abord mais, une fois compris, ça donne une très grande ouverture sur la pensée de ce grand philosophe qui nous offre si spontanément, sur Facebook, sa compréhension du monde. J’ai ajouté au texte, une illustration qui représente tout simplement le zigzag dont parle Gendlin et qui se fait toujours entre les concepts et le sens corporel. C’est à partir de ce mouvement, qui est celui de la vie, que nous pouvons faire évoluer les concepts.


La capacité d’évoluer

La capacité que possède un être humain d’évoluer et de se transformer est précieuse. Lorsque nous travaillons en privé avec quelqu’un, c’est ce que nous faisons. Et c’est aussi ce que nous faisons dans l’espace scientifique.

La science est en constante évolution. Là où il y avait trois termes au départ, nous en trouvons une trentaine quelques années plus tard avec, en plus, de nouvelles sous-spécialités qui s’y sont développées.

Ça ne devient pas autre chose, ça se développe.  Ça contient certainement quelque chose d’autre car la constellation de la science d’une certaine époque est totalement différente de ce qu’elle était quelques années auparavant. Dans les concepts il y a des unités; ces unités sont des objets; ils se développent. 

La structure conceptuelle de ces objets/unités, lorsqu’elle se développe, amène une nouvelle constellation extrêmement précieuse. 

La précision d’une structure conceptuelle répétitive est aussi extrêmement précieuse. Sans cette précision, nous n’aurions pas pu aller sur Mars ou réaliser plusieurs choses qui se font maintenant couramment. Nous avons constamment besoin de cette précision des structures.

Mais, lorsque nous tentons d’élargir ou de modifier nos concepts personnels ou scientifiques, le processus est différent de celui qui consiste à les reproduire avec précision. Nous avons besoin de ces deux types de processus et nous avons besoin d’y entrer et d’en sortir tout en tenant compte de la distinction qui se fait entre les deux. C’est ce que nous faisons constamment. Mais nous croyons qu’il faut être surpris chaque fois qu’un changement de sens se produit, un peu comme si nous nous étions trompé. En fait, nous n’étions pas dans l’erreur, car, en utilisant les mêmes outils pour faire la même chose, nous obtenions les mêmes résultats. Ce n’était pas mauvais car c’est à ce stade d’élaboration des concepts que ce résultat avait été obtenu. Mais maintenant que nous avons cette structure et ces concepts, c’est différent.

Vous vous interrogez à savoir pourquoi l’expansion d’une structure conceptuelle est possible? Cette activité d’expansion dépend de l’implicite. C’est l’implicite qui lui permet de se produire. Elle est possible parce que l’implicite existe et que l’implicite est un processus primaire de la vie qui est composé d’une part du corps=environnement et que, d’autre part, la vie est une sorte de processus rythmique. Sans cette double nature du processus de vie, nous n’aurions pas d’implicite. Mais le processus de vie n’est pas un implicite. Parce que l’implicite est en fait une compréhension implicite qui constitue une toute nouvelle strate du développement à venir des animaux. Les animaux comprennent. Ils comprennent leur situation.

Dans le modèle processuel, il faut aller jusqu’au chapitre 4 pour commencer à aborder la question du comportement. Alors ce qu’il faut absolument savoir ici c’est qu’il ne faut pas favoriser seulement le développement du vivant ou seulement la structure conceptuelle, nous avons besoin des deux et ce sont deux choses distinctes. La structure conceptuelle dépend à la fois de la vie et du comportement. Vous ne pouvez pas avoir de compréhension implicite sans vie et sans comportement : ce sont les deux aspects qui doivent se produire en premier. Mais le discours actuel est à l’effet que «pour les êtres humains la réalité est maintenant conceptuelle». C’est faux, la réalité ne peut pas être seulement quelque chose d’externe. Elle continue d’être la vie et le comportement avant d’être conceptuelle. Ainsi, la réalité n’est conceptuelle pour les êtres humains que sur la base de cette expansion de la vie et de l’action. Ce point est important : le processus de compréhension implicite est toujours beaucoup plus vaste que la structure conceptuelle. Aussi fine, précise et exacte soit-elle, la structure conceptuelle d’aujourd’hui est en devenir de quelque chose de plus et la compréhension implicite en est aussi toujours plus grande, même chez les animaux.  La compréhension implicite apporte une énorme quantité de compréhension à un moment particulier, dans le tout et l’un dans l’autre.

La compréhension implicite est quelque chose d’autre que la structure conceptuelle. Elle ne s’y oppose pas car la structure conceptuelle n’est rendue possible que par la compréhension implicite qui arrive beaucoup plus tôt et de manière beaucoup plus primitive. Il existe entre les deux une relation tout à fait particulière où l’on peut reconnaître que chacune est, d’une étrange manière, plus précise que l’autre. Dans la compréhension implicite, il y a une énorme quantité d’unités implicites non séparées. Ainsi, cette sorte de compréhension ne consiste pas en une constellation d’unités séparées. Et c’est aussi vrai pour la science : les précisions dont la science dispose sont énormes mais elles sont encore beaucoup moindres que ce que comporte le processus primitif de vie. Un évènement important c’est produit dans l’histoire de la pensée lorsque Newton et Kant ont introduits l’espace vide externe dans la réalité. Kant affirmait que si nous pouvions éliminer tous les objets, nous continuerions d’avoir de l’espace et du temps. Ainsi, lui et Newton ont fait de l’espace et du temps un absolu. Cet absolu de l’espace et du temps signifie que la réalité se passe dans un espace vide. Et ça a encore changé… il y a encore une importante transformation entre celle de cet espace vide et la nouvelle évolution… celle du développement de l’implicite…  

Mais il faut aussi mettre l’emphase sur le fait que la structure exacte dont nous disposons est tout aussi importante et qu’elle se doit d’être maintenue. La structure exacte n’est pas «quelque chose qui, d’une certaine manière, peut être mitigée par l’implicite». Dans ce monde, nous avons besoin des deux. Nous, les humains, avons besoin des deux… Trois philosophes, Whitehead, Dewey et Wittgenstein, sont toujours là, toujours actuels. Ils ont apportés une contribution que plusieurs n’ont pas encore comprise. Ils sont à l’arrière-plan de ce que j’affirme. Je veux simplement dire que l’implicite et la relation explicite est ce que nous substituons ici à l’interne/externe. La distinction entre l’interne et l’externe n’est pas fondamentale. Une des difficultés du modèle processuel est qu’au départ il n’y a pas de distinction externe/interne. Par la suite, dans le développement de la structure, il y a certainement une distinction qui se fait entre l’interne et l’externe, mais cette distinction ne vient pas en premier car vous y perdriez tout le background de l’affaire… (À suivre)              


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