lundi 9 avril 2012

La médiation citoyenne

L’approche de la médiation citoyenne est relativement récente au Québec. Ce sont, jusqu’à présent les organismes de justice alternative qui en ont fait la promotion.[1] Selon cette approche, des médiateurs et intervenants professionnels forment et encadrent des médiateurs bénévoles qui offriront ensuite le service dans leurs communautés respectives.

Par la médiation citoyenne, les personnes d’un milieu donné (quartier, organisme ou regroupement quelconque) vont parvenir collectivement à développer des compétences dans le domaine de la gestion de conflits. Cet apport important d’attention inter humaine vise à soutenir des environnements sécuritaires offrant une meilleure qualité de vie. La médiation, toujours effectuée par un tiers indépendant du conflit, est ancrée dans le respect des différences et la reconnaissance des besoins de chacun. Elle prévient l’incivilité et la violence en favorisant l’écoute et la coopération dans la recherche de solutions.

Parce que les conflits sont inhérents à toute interaction sociale, il est important de les reconnaître pour ce qu’ils sont et d’apprendre à composer avec diverses problématiques sans avoir besoin de recourir à une intervention professionnelle ou à des actions judiciaires. Le champ d’action de la médiation citoyenne est très vaste car il s’adresse à tous et le seul critère pour y accéder est l’engagement libre des deux parties en cause en présence d’un tiers. Il est ainsi possible de traiter tout conflit de proximité ou de relation (par exemple : conflits de voisinages, relations au travail ou au sein d’une organisation, enjeux au sein de la famille ou dans les milieux de l’éducation). On parle toujours de ces milliers de petits litiges qui affectent la vie de tous les jours. La médiation citoyenne englobe aussi la médiation en milieu scolaire et devrait faire partie de toute éducation à la citoyenneté. Elle constitue un nouveau mode de régulation sociale visant à recréer du lien en s’appuyant sur la participation de tous.

Dans ce processus, les deux parties en cause vont ainsi engager un dialogue là où il y avait bris de communication. Selon Jean Pierre Bonafé-Schmitt, acteur bien connu en France dans le domaine de la médiation[2], ce qui a valeur ajoutée dans ce projet social est la construction d’une nouvelle forme de citoyenneté, d’une nouvelle responsabilité, d’un nouveau pouvoir des citoyens sur leur vie et, surtout, de nouvelles solidarités. La pratique de la médiation est ainsi un moment de socialisation et d’autonomisation où toutes les personnes impliquées vont potentiellement acquérir de nouvelles habiletés.

La médiation : un nouveau rituel
Erving Goffman, sociologue canadien, a développé la notion de rituel pouvant s’appliquer au processus de médiation. Ce que Goffman nomme l’échange réparateur est la forme, prédéterminée socialement, qui sera susceptible de désamorcer la tension entre les personnes et de recréer le lien. La procédure présente donc un certain cérémonial. Un code moral sera instauré et les parties s’avanceront alors avec l’intention de s’approprier le processus de dialogue qui les mènera vers la résolution du conflit.

La rencontre préliminaire est ainsi la première phase du rituel. Elle est aussi la plus importante car c’est au cours de celle-ci que pourra s’amorcer le rapport de confiance par un engagement préalable envers le processus de dialogue et les valeurs qu’il soutient.

La deuxième étape du rituel sera celle de la rencontre sur le mode du dialogue. Le médiateur favorise alors l’appropriation du processus par les parties concernées à travers les notions de responsabilité mutuelles et d’intercompréhension. Le déroulement de la rencontre est fait d’interactions et d’échanges de paroles où le médiateur s’engage à préserver la logique de la communication.

La dernière étape sera celle de l’accord de médiation (s’il n’y a pas accord sur la problématique, il est alors possible de s’entendre sur le fait que, pour le moment, les parties n’arrivent pas à s’entendre et de voir alors quel serait le prochain pas pour l’une comme pour l’autre.)

Enfin, toujours selon le principe du rituel, le travail d’une association faisant la promotion de la médiation citoyenne consistera à recruter de nouvelles personnes et à les intégrer au réseau social afin que le rituel de la médiation se propage dans l’ensemble des communautés touchées. C’est ce que Bonafé-Schmitt nomme l’ingénierie de la médiation et il a développé dans ce sens un modèle qui s’enseigne dans le cadre d’un programme universitaire.

Le conflit est une forme de socialisation
Selon une thèse proposée par le sociologue allemand Georg Simmel[3], le conflit serait une forme de socialisation car il permet de reconnaître l’autre dans sa différence. Autrefois et encore aujourd’hui dans plusieurs contextes, les relations étaient surtout marquées par des rapports d’autorité et le mode de gestion des conflits était hiérarchisé selon un mode d’inférieur à supérieur. Plutôt que d’écouter et d’être écouté, il fallait obéir et se plier aux exigences du milieu dans un rapport de type autoritaire.

Aujourd’hui, par le biais de l’élaboration de nouveaux rituels, il s’agit de proposer de nouvelles règles. C’est ce que la médiation tente de faire. La nouvelle règle consiste ainsi à ce que les deux parties en viennent à définir ensemble les modalités de leur vie commune. Pour se faire, il doit y avoir reconnaissance de l’autre et compréhension mutuelle. La médiation devient ainsi un processus éducatif de régulation basé sur le consensus, le contrat, la confiance et l’équité. La médiation peut ainsi produire de nouvelles normes et de nouvelles règles d’ordre relationnel ou fonctionnel. Le caractère subjectif et complexe du conflit nécessite que la médiation s’adapte aux conflits des individus et non pas l’inverse car une loi générale et impersonnelle ou une politique quelconque ne pourra jamais s’appliquer à toutes les situations. C’est pourquoi l’on considère l’attention portée au conflit comme étant un apprentissage de la vie en commun.

En mettant en évidence la fonction socialisante du conflit, par l’interaction qu’il crée entre les parties, Georg Simmel montre que l’objectif poursuivi par les protagonistes est toujours, en définitive, un retour à l’unité. Le traitement du conflit passe généralement par une réévaluation du fonctionnement social. Il est une forme de synthèse entre deux opposés et indique un choix différent de celui de la concurrence, de la rivalité ou du maintien de la polarisation. Le conflit contient toujours ainsi l’antagonisme et la force du lien. On peut dire qu’il est une nécessité et qu’il serait illusoire de vouloir s’en débarrasser. 

Conclusion
La médiation telle que proposée dans ce nouveau modèle en élaboration n’est pas une «technique» de gestion des conflits. Il s’agit plutôt, tel que le souligne Bonafé-Schmitt, de faire société, de créer du lien social en constituant de nouveaux espaces de régulation des relations sociales. Il s’agit en fait de créé des temps et des lieux à même le tissu social afin que nos liens puissent s’harmoniser par la reprise d’un dialogue authentique.

Références
Bonafé-Schmitt, J.P., Entretien fait par Guy Boubault pour la revue Non-Violence Actualité
Goffman, E., La mise en scène de la vie quotidienne, Ed. De Minuit, 1973
Simmel, G., Le Conflit, Circé, 1995




[1] L’organisme Trajet offre actuellement (2011, 2012) une formation en médiation citoyenne d’une durée de 21H00. Suite à cette formation, les médiateurs sont invités à se joindre à un groupe ou à une organisation où ils offriront un service de médiation pour un minimum d’un an. Pour joindre l’organisme : http://www.rojaq.qc.ca/blog/category/montreal . Dans l’ensemble du Québec, il y aurait actuellement plus de 200 personnes impliquées dans 34 unités opérationnelles, dont 3 unités à Montréal.
[2] L’organisme Amely ou l’on peut joindre Jean Pierre Bonafé-Schmitt, est actif dans la région de Lyon depuis 1987. Il offre les services de 50 médiateurs bénévoles dans les différents quartiers de la ville de Lyon, ainsi que des services de médiation en milieu scolaire. www.amely.org
[3] Cette thèse est développée dans son ouvrage intitulé : Le Conflit